"Je te loue, Père, Seigneur du ciel
et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents
et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui,
Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta
bienveillance." (Mt 11, 25-26)
Les versets 25
à 30 du chapitre 11 de l’Evangile selon saint Matthieu sont
proclamés dans la célébration eucharistique
consacrée à saint Pio de Pietrelcina. Suivant la
règle de la Lex orandi
ainsi que de la méthode de la Lectio
divina, nous nous demanderons : Que signifient ces versets ?
Qu’inspiraient-ils à Padre Pio ? Que nous inspirent-ils ?
Signification
et contexte
La merveilleuse
bénédiction que nous lisons ici dans l’Évangile
est la seule prière de Jésus transcrite par les
synoptiques : en effet Jésus enseigne le Pater aux disciples et il ne
prononce que de brèves invocations dans le jardin des Oliviers
ou sur la Croix, comme les évangélistes le notent. Mais
la prière ci-dessus, d’une intensité extraordinaire, a
été analysée en détail ; chaque mot a sa
valeur propre qui puise dans le message de l’Ancien Testament et
s’ouvre à la vision du Royaume et de son mystère
révélé par le Christ.
Ce passage est traditionnellement connu sous le nom
de "jubilation messianique" car, dans son texte parallèle, Luc
(10,21-24) commence par ces mots : "A
l’instant même Jésus exulta sous l’action de l’Esprit
Saint et dit…"
Le contexte est assez incertain. Il est suggestif de
penser qu’effectivement Jésus ne répond à personne
sinon à une sollicitation de l’Esprit Saint, au sein d’une
expérience intime de prière. En effet, la traduction
littérale est "En ce
temps-là, après avoir répondu, Jésus prit
la parole…". En outre, Jésus avait parlé
auparavant (Mt 11,20-24), en invectivant les villes aisées du
lac de Tibériade.
Dans ce contexte et sollicité par l’Esprit,
Jésus, rejeté par les puissants, déclare
explicitement sa préférence pour les pauvres, les
simples, les derniers et les petits, dans un chant de louange et de
joie, divisé en trois strophes liées entre elles.
La première
strophe (Mt 11, 25-26) est une bénédiction,
c’est-à-dire un remerciement qui monte de la terre vers Dieu. "Que ma prière devant toi
s’élève comme un encens et mes mains comme l’offrande du
soir" (Ps 141,2). Jésus remercie le Père car le
voile du mystère du Royaume de Dieu a été
levé, et le projet de salut que Dieu est en train de mettre en
œuvre a été révélé dans la personne
du Christ. Les yeux des pauvres et des humbles, qui ne sont pas plein
d’orgueil, peuvent enfin le contempler. Dans la personne du Christ,
petit et méprisé, les petits de la terre peuvent admirer
l’action du "Seigneur du ciel et de
la terre". Les savants et les intelligents orgueilleux ont les
yeux fermés et ne considèrent Jésus que comme un
modeste pêcheur de la Galilée, fils d’un artisan qui, en
raison de ses velléités, est la cible de leur ironie.
La strophe est donc centrée sur les "petits",
qui sont aussi les humbles, les pauvres, ceux qui n’ont pas droit
à la parole pour se faire respecter par les "grands" hommes. La
Sagesse divine ne révèle pas les secrets du Cœur divin
aux superbes et aux orgueilleux, mais "la
Sagesse ouvre la bouche des muets et rend claire la langue des
tout-petits." (Sg 10,21)
Le sage d’Israël rappelle qu’il faut se faire
humble : "Plus tu es grand, plus il
faut t’abaisser pour trouver grâce devant le Seigneur, car grande
est la puissance du Seigneur, mais il est honoré par les
humbles." (Si 3,18-20)
L’orgueil humain est bouleversé et la
doctrine de la sagesse de l’Ancien Testament en donne plusieurs
exemples : "La Loi du Seigneur est
parfaite, réconfort pour l’âme ; le témoignage du
Seigneur est véridique, sagesse du simple." (Ps 18,8) – "La révélation de tes
paroles illumine, elle donne l’intelligence aux simples." (Ps
119,130)
Le mot "petit",
enfin, inaugure ce fil d’or de la spiritualité chrétienne
connu sous le nom d’enfance spirituelle qui plonge ses racines dans
cette perle qu’est le psaume 131 : "Non
! je tiens mon âme dans le calme et le silence. Comme un enfant
sevré sur le sein de sa mère, comme l’enfant sevré
mon âme est en moi." (v.2)
Ce n’est pas un abandon irrationnel et aveugle que
celui du bébé tranquille et rassasié d'avoir
tété. L’enfant sevré est la créature
liée à sa mère par un lien conscient
d’intimité, différent du simple besoin physiologique et
de la relation génératrice. Sous cette lumière, le
"petit" symbolise efficacement l’adhésion totale à Dieu
dans la confiance. C’est sous cette lumière que Jésus le
propose comme modèle.
La
jubilation dans l’Esprit chez Padre Pio, un des ‘‘petits’’ du Seigneur
Si les experts ont
choisi le passage de Mt 11,25-30 pour la messe consacrée
à Padre Pio, c’est parce qu’ils ont vu en lui un des champions
de cette enfance spirituelle. Jésus est le vrai "petit" du
Royaume et chacun de nous est appelé à se faire petit en
l’imitant.
Padre Pio l’a fait à un degré
élevé. On peut répéter de lui ce que saint
Bonaventure affirmait de saint François : "Ainsi, le vrai amour du Christ avait
transformé l’amant dans l’image de l’aimé… dans le
portrait visible du Christ crucifié, non pas par le martyre de
la chair mais par le feu de l’Esprit." (Legenda Major XII,3-5)
Le "petit" Padre Pio s’est laissé aimer par
Dieu, sans opposer de résistance, et cet amour sponsal l’a
transformé. Le "petit" Padre Pio s’est abandonné avec
confiance, totalement, à l’amour du Père bon, tendre et
gratifiant.
"Par moments, je
me souviens de la sévérité de Jésus et je
suis un instant sur le point de m’affliger ; je me mets alors à
considérer son amour, et j’en suis pleinement consolé. Il
m’est impossible de ne pas m’abandonner à cette douceur,
à ce bonheur… Oh mon Père, qu’est-ce que je ressens ?
J’ai une telle confiance en Jésus que, même si je voyais
l’enfer ouvert devant moi et que je me trouvais au bord de
l’abîme, je ne douterais pas de lui, je ne
désespérerais pas, je me fierais à lui."
(Lettre au Père Agostino, 3 décembre 1912)
Rappelons aussi la
merveilleuse lettre du 10 juillet 1915 écrite également
au Père Agostino. Padre Pio synthétise là les
piliers de la doctrine de l’enfance spirituelle : simplicité,
abandon en Dieu et paix.
"Dieu se
plaît à se révéler aux âmes simples ;
efforçons-nous donc d’acquérir cette belle vertu,
tenons-la en grande considération. Jésus a dit : “Si
vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez
pas dans le Royaume de Cieux”. Mais,
avant de nous l’enseigner en paroles, il l’avait mis en pratique dans
les faits. Il s’est fait petit enfant et donna l’exemple de cette
simplicité qu’il allait enseigner. Eloignons de notre cœur toute
prudence terrestre. Tâchons d’avoir toujours un esprit pur, des
idées droites, des intentions saintes.
Veillons à
ce que notre volonté ne cherche rien d’autre que Dieu et sa
gloire. Si nous nous efforçons de progresser dans cette belle
vertu, celui qui nous l’a enseignée nous enrichira de
lumières nouvelles et de plus grandes faveurs célestes.
Gardons les yeux
de notre esprit fixés sur notre état sacerdotal ; tant
que nous ne pourrons dire à tout le monde, et sans mentir, la
fameuse parole de saint Paul : “Soyez mes imitateurs comme je le
suis moi-même du Christ”, ne
nous arrêtons pas de progresser vers plus de simplicité.
Toutefois, nous ne
ferons jamais le moindre pas en avant si nous n’essayons pas de vivre
dans la paix, une paix sainte et constante. Le joug de Jésus est
doux et léger, ne donnons donc pas à l’ennemi l’occasion
de s’insinuer dans notre cœur pour en arracher cette paix.
La paix est
simplicité d’esprit, sérénité,
tranquillité de l’âme, lien d’amour. Elle est ordre et
harmonie en nous ; elle est une joie continuelle qui naît du
témoignage de notre bonne conscience; c’est la sainte
allégresse d’un cœur sur lequel Dieu règne. La paix est
le chemin de la perfection. Mieux, c’est en elle que réside la
perfection, et le démon, qui connaît fort bien tout cela,
s’efforce de nous la faire perdre.
Soyons donc
vigilants au moindre symptôme de trouble ; dès que nous
nous rendons compte que nous cédons au découragement,
tournons-nous vers Dieu en toute confiance et avec un abandon total.
Ce qui nous
perturbe déplaît vivement à Jésus, car cela
va toujours de pair avec l’imperfection, une imperfection qui provient
de l’égoïsme et de l’amour-propre.
S’il est bien une
chose dont l’âme doit s’attrister, c’est de toute offense de Dieu
et, sur ce point, il importe d’être extrêmement prudents.
Certes, il nous faut regretter nos fautes, mais que ce soit avec une
douleur pacifique et sans que nous perdions notre confiance en la
miséricorde divine.
Si ces reproches
et ces remords nous humilient et nous permettent de mieux nous
appliquer à bien nous conduire sans faire vaciller notre
confiance en Dieu, considérons comme certain qu’ils viennent de
Dieu. Mais s’ils nous troublent, s’ils nous rendent peureux,
méfiants, paresseux ou lents à faire le bien,
considérons pour certain qu’ils viennent du démon ; comme
tels, il nous faut les chasser en nous réfugiant dans la
confiance en Dieu.
C’est ainsi que
notre âme restera tranquille et paisible en toute situation, et
nous progresserons alors dans les voies du Seigneur ; dans le cas
contraire, c’est-à-dire si nous avons perdu cette paix, tout ce
que nous pourrons faire pour obtenir la vie éternelle ne portera
que peu de fruit, sinon aucun."
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