"Une âme ne parvient pas à la
connaissance, si Dieu lui-même ne le lui permet pas et ne la
prend pas pour l’élever jusqu’à lui. L’esprit humain ne
pourrait jamais monter jusqu’à la lumière divine, si Dieu
lui-même ne l’élevait pas, jusqu’où l’esprit humain
peut être élevé, et s’il ne l’enflammait pas de sa
charité." (saint Maxime le Confesseur)
En poursuivant le commentaire de l’Évangile
de la messe de saint Pio (Mt 11, 25-30), nous nous arrêterons ici
sur un seul verset, le verset 27, qui peut être divisé en
trois affirmations solennelles:
1. "Tout m’a
été donné par mon Père ;
2. nul ne
connaît le Fils sinon le Père,
3. et nul ne
connaît le Père sinon le Fils et celui à qui le
Fils veut le révéler."
Il saute immédiatement aux yeux que le verbe
"connaître" est ici central ; mais examinons chacune des trois
affirmations.
Tout
m’a été donné par mon Père
L’expression de saint Matthieu reprend Daniel
7,13-14, où l’Ancien, l’Ancien des jours, le Dieu éternel
remet "le règne, la puissance
et la gloire" dans les mains du Fils de l’Homme. Au terme de sa
vie, Jésus lui-même, avant de monter au ciel, affirme
qu’il lui "a été
donné tout pouvoir au ciel et sur la terre" (Mt 28,18),
ainsi qu’au début de son ministère parmi les hommes : "Le Père aime le Fils et a remis
toute chose entre ses mains." (Jn 3,35)
Nul
ne connaît le Fils sinon le Père
"Ici l’objectif se
concentre sur la seule figure du Christ comme seuls les pauvres savent
la voir. La description est liée à un terme capital dans
la Bible, ‘‘connaître’’, un verbe qui dans le monde
sémitique indique par-dessus tout une plénitude
d’intimité et d’amour." (G. Ravasi, Secondo le Sritture)
Si, pour nous aujourd’hui en occident,
"connaître" paraît être seulement une activité
intellectuelle, de manière constante dans la Bible, et
peut-être dans toutes les traditions spirituelles,
‘‘connaître’’ fait partie du vocabulaire de l’amour. "On connaît mieux avec le cœur
qu’avec l’intelligence", disent les saints.
"Celui qui n’aime
pas, ne connaît pas Dieu", parce que "l’amour est le support de la connaissance"
(saint Grégoire de Naziance).
"Le premier et le
plus grand des commandements est la charité ; grâce
à elle, l’intelligence voit la charité première,
Dieu" (Evagre le Pontique).
Padre Pio, lui
aussi, le dit, dans une lettre du 4 octobre 1915 au Père
Agostino :
"Je pense
fréquemment, mon cher Père, que seule la solitude, en ce
bas monde, peut apaiser l’atroce douleur qui me transperce à la
vue de mon éloignement de ce Dieu qui est la source et la
consolation des âmes affligées: en effet, l’esprit y
trouve un doux repos en celui qui est sa véritable paix.
Mais, mon
Père, il arrive trop souvent que la pleine liberté de se
délecter de lui ne lui soit pas laissée ! Qui peut alors
imaginer l’immense amertume que l’âme éprouve ?
L’intelligence est comme en extase devant les merveilles de son Epoux
divin ; en revanche, la volonté se consume de douleur, parce
qu’elle ne voudrait en aucune manière être
dérangée et détournée des douceurs de cet
amour qu’elle ne comprend pas, mais qui ne peut être qu’un amour
qui ne ressemble en rien à celui qu’elle est habituée
à porter aux créatures.
Cette pauvre
volonté ne comprend rien à ce mystère. Elle aime
plus que ce qu’elle connaît d’ordinaire, ce qui cause les grands
tourments qui ne laissent aucune paix à l’âme, ni de jour
ni de nuit. L’esprit brûle du désir de connaître
l’objet de son amour, mais l’abîme incompréhensible de la
grandeur divine l’oppresse, l’abat, l’anéantit. Elle se sent
réduite à rien, au point de pouvoir joindre sa voix
à celle du prophète pour ouvrir son cœur à Dieu :
'Je suis réduit à rien'.
A son tour, le
cœur s’enflamme du désir de se délecter des
beautés souveraines de sa face, mais en vain, car il se rend
compte qu’une trop grosse chaîne le retient prisonnier de ce bas
monde."
et
nul ne connaît le Père sinon le Fils et celui à qui
le Fils veut le révéler
Saint Jean, dans le prologue de son Evangile,
affirme : "Dieu, nul ne l’a jamais
vu ; mais le Fils unique, qui est dans le sein du Père, l’a
révélé." (1,18) Moïse lui-même
n’avait pas été jugé digne de voir la Gloire de
Dieu, c’est-à-dire Dieu lui-même : "Tu ne pourras pas voir mon visage, car
personne ne peut me voir et rester en vie." (Ex 33,20) Seul le
Fils connaît le Père et peut, dans sa liberté
divine, le faire connaître aux hommes. Le Fils connaît
aussi le cœur des hommes et ainsi il révèle le
Père à qui il veut, c’est-à-dire à celui
qui se trouve en condition d’accueillir la réalité
divine. Nous avons déjà vu, dans un article
précédent, que sa volonté se dirige vers les
"petits". C’est seulement aux petits que le Fils, Sagesse divine, donne
la grâce de l’Esprit Saint, grâce qui vient du Père,
afin qu’ils connaissent les Dons divins.
Padre Pio est l’un de ces "petits". Notre saint
accompagne les âmes qui lui ont été confiées
sur la voie de l’enfance spirituelle. C’est un chemin difficile, mais
que les directeurs spirituels ne doivent pas oublier d’indiquer
à leurs propres enfants. Regardons comment Padre Pio a
guidé sa fille spirituelle Raffaelina Cerase sur la voie
confiante de l’abandon total dans les bras du Père.
Toute la lettre du 23 février 1915 peut
être lue dans cette optique. Nous n’en donnons ici que quelques
extraits, qui commencent sur un commentaire de Ephésiens 1,23-24
:
"Il déclare avant tout aux
fidèles qu’il est prêt à tout par amour de
Jésus Christ, dans la ferme espérance que tout, y compris
les chaînes dans lesquelles il se trouve alors, contribuera
à son salut, que tout lui sera un avantage pour la vie
éternelle.
Ce sentiment
vraiment sublime devrait être celui de tous les chrétiens.
Pourquoi vivons-nous donc? Après la consécration que nous
avons faites de nous-même au baptême, nous sommes tout
entier à Jésus Christ. Ainsi, chaque âme
chrétienne devrait être familière de la parole du
saint Apôtre : ‘‘Pour moi, vivre c’est le Christ.’’ Je vis pour Jésus Christ, je vis
pour sa gloire, pour le servir, pour l’aimer… [N’est-ce pas ce
à quoi tend le ‘‘petit’’ ?]
Goûtons, ma chère Raffaelina,
goûtons, savourons la sublime disposition d’âme d’un tel
apôtre ! Oui, cela est trop vrai, les âmes qui aiment Dieu
sont prêtes à tout par amour de ce même Dieu, ayant
la ferme espérance que tout tournera à leur bien. Qu’elle
soit toujours nôtre la disposition d’âme qui
reconnaît en tous les événements de la vie l’ordre
empli de sagesse de la divine providence, adorons cette providence et
disposons notre volonté à s’unir, toujours et en tout,
à celle de Dieu : ainsi nous glorifierons le Père et tout
nous sera un avantage en vue de la vie éternelle.
Le Seigneur,
après qu’il nous a comblé de tant de biens sans aucun
mérite de notre part, se contente d’un don si minime, celui de
notre volonté. Offrons-la lui avec le divin Maître dans la
prière sublime du Notre Père : "Que ta
volonté soit faite sur la terre comme au ciel." Offrons notre volonté avec le
sentiment qui fut celui de notre divin Maître quand il s’offrit
pour nous au Père. Offrons-la lui et que cela soit une offrande
totale, bien évidemment jusqu’en notre vie concrète. Ne
soyons pas comme ces enfants qui donnent un bijou et qui,
immédiatement ou presque, le regrettent et le réclament
avec des pleurs : s’il en était ainsi, notre offrande serait
dérisoire… [Parce qu’il nous sait non seulement petits,
mais aussi fragiles, le Seigneur nous donne le pain quotidien pour
notre marche jusqu’à lui.]
Mais quel est ce pain ? En cette demande
de Jésus, (une meilleure interprétation étant
toujours possible) je reconnais principalement l’Eucharistie. Oh, quel
excès d’humilité de la part de l’Homme-Dieu ! Lui qui est
un seul être avec le Père. [tout m’a
été donné par mon Père.] Lui qui est l’amour et le délice
du Géniteur éternel [Le Fils seul
connaît le Père],
bien qu’il sache que tout ce qu’il ferait sur terre serait
accepté et ratifié par son Père dans le ciel,
demande la permission de rester avec nous !
O Raffaelina, quel excès d’amour
pour nous de la part de Fils et en même temps quel excès
d’humilité dans cette demande adressée au Père de
lui permettre de rester avec nous jusqu’à la fin du monde !
Mais, également, quel excès d’amour pour nous de la part
du Père quand, ayant vu les moqueries misérables et le
pire traitement qui soit, a permis à son Fils bien-aimé
de rester encore au milieu de nous, alors qu’il serait quotidiennement
encore victime de nouvelles injures !… [l’excès
d’amour du Fils et du Père pour nous me paraît bien
expliquer la parole : "et celui à qui le Fils veut le
révéler".]
L’Apôtre
déclare donc ouvertement que "vivre pour lui, c’est le Christ",
qui est comme l’âme et le centre de toute son existence, celui
qui agit en toute ses actions, le but de toutes ses aspirations [voilà
l’abandon total du petit dans le bras du Père]. Et après avoir dit que sa vie est
Jésus Christ, il ajoute que mourir est un gain pour lui, parce
qu’avec son martyre il donnerait à Jésus le
témoignage solennel de son amour, il unirait sa vie à
celle de Jésus plus indissolublement et il atteindrait la gloire
qu’il attend.
Que dites-vous,
Raffaelina, de telles paroles ? Les âmes mondaines, puisqu’elles
ne connaissent rien des goûts surnaturels et célestes,
à entendre un tel langage, se mettraient à rire et elles
auraient raison ! parce que l’homme animal, dit l’Esprit Saint, ne
perçoit rien des choses qui viennent de Dieu. Ceux qui ne
connaissent pas d’autres goûts que ceux de la fange et de la
terre, ne se font aucune idée de la béatitude, que les
âmes spirituelles expérimentent en souffrant et en mourant
pour Jésus Christ…
… un fils, qui aime
tendrement son père, supporte, par amour pour lui, toutes les
humiliations, jusqu’à l’accomplissement exact de certains
offices très bas qu’il plaît à son père de
lui imposer.
Tout cela, ce fils aimant
le fait, pas seulement pour ne contrevenir en rien à la
volonté de son père, mais aussi dans le but de lui plaire
en toutes choses. Pour autant, bien qu’il s’assujettisse de son plein
gré à tout, ce fils affectueux sentira tout le poids de
ses sacrifices ; au contraire plus son amour de son père sera
fort, plus le poids des sacrifices sera lourd et douloureux…
Je crains de ne pas
être un bon pasteur des âmes que la providence divine m’a
confiées. On ne travaille jamais assez à la perfection
d’une seule âme."
|