Le repos dans le
Seigneur comme don de l’Esprit Saint à l’âme qui cherche
la volonté de Dieu au sein des épreuves de la vie,
mérite un approfondissement.
C’est ainsi que nous concluions l’article précédent.
En résumé, nous disions que l’affirmation de l’Evangile : "Venez à moi, vous tous qui peinez
et ployez sous le poids du fardeau, et je vous donnerai le repos" (Mt
11,28) met ensemble le repos, la quiétude de l’Esprit et
les fatigues et les épreuves de la vie.
Les deux pôles de la spiritualité de
Padre Pio sont bien ceux-là : les frères avec leurs
souffrances et Dieu avec son soulagement. Padre Pio, situé entre
les frères et Dieu, sent que son rôle est d’être du
côté de Dieu, recevant et donnant le soulagement, et du
côté des frères, assumant et soulageant leurs
souffrances.
« Soulagement » et « souffrance » sont deux
anneaux de la chaîne ininterrompue qu’est la vie de l’Esprit. Par
la souffrance, par la croix, Dieu nous modèle, nous purifie en
vue de l’union nuptiale d’amour avec Lui. Et quand nous avons atteint
cet état de joie, de paix, de soulagement de nos souffrances,
Dieu nous « presse » encore, nous purifie de nouveau par la
souffrance en vue d’un état encore supérieur d’union avec
Lui.
Nous pouvons nous demander si ce chemin est réservé
à quelques-uns ou s’il concerne tout le monde ?
La réponse nous semble être : ce chemin est pour tous !
mais il y a les retards, les rébellions, la non
compréhension (due entre autre au manque de directeurs
spirituels avisés !) qui nous font reculer devant une telle
union à Dieu. D’autres fois, ce sont les paresses spirituelles,
la peur d’être conduit par Dieu sur un chemin que nous n’avons
pas désiré, la priorité que nous donnons à
nos projets humains sur le projet de Dieu, qui nous ferment à
cette perspective.
Padre Pio dans le
sillage de la tradition ininterrompue de l’Eglise
Que pense Padre Pio de ce qui précède ?
Dans sa lettre du 9 janvier 1915 à Raffaelina Cerase, notre
fondateur décrit en son entier le chemin spirituel d’une
âme. Avant d’en examiner quelques extraits, je voudrais indiquer
que Padre Pio se touve là dans le sillage de la grande tradition
spirituelle de l’Eglise. Dans son ouvrage « La prière
selon la tradition de l’Orient chrétien », T. Spidlik
écrit : "Théophane le
Reclus établit une règle ordinaire de la pédagogie
divine :
1) La grâce divine
est présente dès le commencement et fait comme une seule
substance avec l’âme.
2) Au commencement de la
vie spirituelle, elle se fait sentir comme une consolation, une
récompense pour le travail accompli.
3) Dans la suite, elle se
cache et Dieu laisse les saints dans les souffrances, dans les
désolations, afin de les éprouver et de les purifier.
4) À terme, quand
la période de la purification est accomplie, Dieu accorde
à nouveau ses consolations et la plénitude de l’Esprit
Saint. »
Dans la lettre n°45 à Raffaelina Cerase, Padre Pio est en
parfaite harmonie avec les Pères et décrit minutieusement
ces quatre étapes de la pédagogie divine.
Les
soins maternels d’une mère pour son enfant
"Lorsqu’il veut, par son
infinie bonté, élever une âme à une haute
perfection, Dieu a l’habitude de son comporter envers elle comme le
fait une mère avec son petit enfant. Observez tous les soins
ingénieux d’une telle mère. Elle est toutes entrailles
pour sa chère petite idole. Quand elle a donné le jour
à son enfant, elle ne le porte pas tout de suite au sein
maternel pour le faire téter. Elle fait cela dans un double but.
Cette pauvre mère craint fortement que le lait, n’étant
pas encore bien purifié par la chaleur de son sein maternel,
puisse nuire gravement au fruit de ses propres entrailles.
Mais il y a une autre
raison qui pousse cette mère à agir avec tellement de
prudence : le lait qui n’est pas pur n’est pas agréable au
palais du nouveau-né, et cette mère, tellement bonne, qui
craignant fortement, et avec juste raison, que son petit enfant, trop
vite écœuré par la désagréable odeur de son
lait non encore purifié, ne soit obligé, par la suite, de
cesser de téter, la pauvre se contente de le nourrir au tout
début avec un aliment très doux comme le sucre.
Lorsque, par
après, cette mère pleine d’affection, a ainsi
préparé le nouveau-né, et que son lait a acquis la
propriété d’aliment sain, nous la voyons aussitôt
attirer l’enfant à son sein maternel, avec une sainte et
maternelle ardeur, pour lui donner le lait.
Lorsque cet enfant est
parvenu à l’âge d’être sevré, cette
mère si tendre commence, peu à peu, à lui donner
d’autres aliments avec le lait et, en même temps, elle lui
supprime le lait. Elle lui en donne de moins en moins, et de plus en
plus rarement, jusqu’au jour où elle cesse totalement de lui en
donner.
Cette mère
termine-t-elle peut-être là ses soins ? Pour ceci, je m’en
remets à n’importe quelle intelligence pour en juger. Ne perdons
pas de vue l’enfant cependant : il souffre à cause du sevrage,
et il souffre certainement beaucoup au début, et il n’est pas
rare de voir cet enfant dépérir pendant un certain temps,
mais, par la suite, sa santé redeviendra florissante, ses
membres prendront de la force jusqu’à ce qu’il devienne un jour
un homme bien formé, ce qu’il n’aurait pu obtenir si la
mère se fut contentée de lui donner toujours du lait.
Avec nos âmes, Dieu
se comporte de cette manière-là et même d’une
manière bien meilleure. Il a voulu nous gagner à Lui en
nous faisant éprouver de très abondantes douceurs et
consolations en chacune de nos dévotions, aussi bien au niveau
de la volonté qu’au niveau du cœur. Mais qui ne voit le danger
dans cette sorte d’amour de Dieu ? Il se peut que la pauvre âme
s’attache à l’accidentalité de la dévotion et de
l’amour de Dieu. Elle ne se soucie que peu, ou pas du tout, de cette
dévotion et de cet amour substantiels qui seuls la rendent
chère et agréable à Dieu.
À ce danger très grand, bien vite le très doux
Jésus accourt avec une sollicitude exquise. Quand il voit que
l’âme est bien affermie dans son amour, qu’elle s’est
attachée et unie à Lui, qu’il la voit déjà
détachée des choses de la terre et des occasions du
péché, qu’elle a acquis une vertu suffisante pour se
maintenir à son saint service, sans attractions ni douceurs
sensibles, il veut la faire accéder à un plus grande
sainteté de vie. Il la prive de cette douceur des sens qu’elle
avait jusqu’ici expérimentée en toutes ses
méditations, ses oraisons et autres dévotions ; et ce qui
est plus douloureux pour l’âme, c’est de perdre, dans cet
état, toute facilité de faire oraison et de
méditer, et aussi d’être abandonnée à
l’obscurité dans une totale et douloureuse aridité.
À tout cela ne manquent pas non plus les afflictions
extérieures, non plus que d’autres souffrances sans nombre. En
somme, il semble que tout contribue à la destruction de cette
pauvre âme et à son éternelle condamnation. Devant
un tel changement, l’âme, au début, reste atterrée,
elle croit que tout cela provient d’une coupable négligence.
Elle s’efforce alors, même par des moyens sévères,
de réveiller les sentiments endormis. Mais la pauvre se rend
compte que ces ingénieuses façons de faire ne parviennent
nullement à la remettre dans la précédente
disposition. Une immense peur, semblable à la mort, s’empare
d’elle. Elle doute fortement que peut-être tout cela ne soit le
fruit de quelque péché grave qui lui aurait
échappé et dans lequel elle serait tombée sans
s’en apercevoir.
Et la voilà qui, sans perdre de temps, commence à
examiner sa conscience, à analyser tout ce qu’elle a fait. Elle
ne trouve rien à se reprocher qui lui semble avoir causé
une telle disgrâce. Elle conclut : tout est fini pour moi, je
suis abandonnée par Dieu, sa justice m’a finalement atteinte,
tout cela m’est arrivé pour expier les péchés de
ma vie passée, ou encore les manquements de chaque jour.
Mon Dieu, que son aveuglement a été facile ! Ce que la
pauvre âme appelle abandon n’est pas autre chose qu’un soin tout
particulier et tout spécial du Père du ciel pour elle. Ce
passage, qui est le sien, n’a rien d’aride, mais par après, si
elle demeure fidèle, elle passe de l’état de
méditation à celui de contemplation. Tout deviendra suave
et savoureux.
Voilà comment la chose se passe pour vous, ma chère
Raffaelina, et vous devez être persuadée que votre
âme n’est pas privée d’amour pour son Dieu. A cause de la
sécheresse et des ténèbres dont vous êtes
enveloppée, vous ne vous éloignez pas d’un cheveu dans le
service de Dieu, et bien plus, vous pouvez vous en rendre compte par
vous-même, vous vous sentez encore davantage poussée
à servir le Seigneur, et vous êtes très attentive
à ne pas manquer à l’amour de Dieu, vous faites en
vous-même l’expérience d’une certaine force et d’une
certaine ardeur pour persévérer constamment dans la
vertu. Est-ce que je me trompe ? Non, soyez sincère au moins
avec vous-même !
Toute cette épreuve, finalement, n’est pas autre chose que la
purgation de l’âme. De même que la mère sèvre
peu à peu son enfant pour lui donner de la nourriture plus
substantielle, plus solide, et donc plus fortifiante, capable de la
conduire à l’âge adulte, Dieu prive peu à peu
l’âme de la nourriture sensible et délicate pour le
plonger peu à peu dans la contemplation directe par la Foi pure.
C’est seulement ainsi que l’âme se perdra en Dieu.
Il pourra même arriver que la purgation de l’âme agisse par
les sens, et ce sera alors la purgation des sens. C’est d’ailleurs la
source d’une douleur très intense. Pourtant, cette
aridité, cette sécheresse, ne pourra que conduire
l’âme ainsi éprouvée à un amour de Dieu de
plus en plus dépouillé, donc de plus en plus pur. On
aimera Dieu sans même s’en apercevoir. Tel est l’amour
substantiel par lequel on aime Dieu d’une façon parfaitement
désintéressée.
Enfin, lorsque l’âme se laisse entraîner par Dieu vers
l’union mystique et l’amour parfait, Dieu lui donne une lumière
très vive qui lui découvre la gravité de son
péché. Il s’ensuit une souffrance et un abattement tels
que, si Dieu ne la soutenait pas par sa grâce toute puissante,
elle quitterait ce monde de ténèbres."
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