« Prenez sur vous mon joug, et
apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez
le repos pour vos âmes. Mon joug est doux et mon fardeau
léger. » (Mt 11,29-30)
La dernière
partie de l’Evangile de la messe en l’honneur de saint Pio, les versets
29 et 30, portent sur le joug. Ce mot renvoie à la servitude
terrible et à la fatigue sans fin qui, durant des
millénaires, furent celles des bœufs et autres pauvres
bêtes qui a dû porter ce joug. Mais le joug que la Sagesse
divine vient proposer est bon, il est donné par Celui qui est
Bon et il rend bon.
G. Ravasi note à ce propos : « L’image du joug était
utilisée pour indiquer la Loi que le Seigneur avait
donnée à Israël (Sir 12,23.26-27 : «
Approchez-vous, ignorants, et mettez-vous à mon école.
Placez votre cou sous le joug, accueillez l’instruction. Elle est
proche et vous pouvez la trouver. Voyez de vos yeux : comme j’ai peu de
mal pour me procurer beaucoup de repos. »). Jésus la
propose à nouveau, mais il en enlève l’aspect de poids,
de triomphe, de soumission et il l’utilise dans un sens plus ‘‘doux’’
et dès lors plus engageant. En fait, le château de la
casuistique morale juive se trouve ici simplifié et reconduit
à un engagement totalisant, le joug de l’amour. Le rapport
à Dieu n’est plus régulé par la crainte, mais il
est filial et spontané ; et, pour cette raison, il devient plus
exigeant. »
Comment
Jésus peut-il affirmer que son fardeau est léger ? Nos
connaissons les exigences terribles de la vie chrétienne
exprimée tout au long de l’Evangile. Saint Jean
Chrysostome écrivait magnifiquement :
« Ne vous effrayez
pas quand vous entendez parler du joug, parce qu’il est ‘‘doux’’ ;
n’ayez pas peur quand vous entendez parler du ‘‘poids’’, parce qu’il
est ‘‘léger’’. Mais alors, me direz-vous, Jésus n’a-t-il
pas parlé précédemment de la porte étroite
et de la voie resserrée? Elles nous paraissent ainsi quand nous
sommes paresseux et spirituellement fatigués. Mais si tu mets en
pratique et accomplis les paroles du Christ, le poids sera
léger. C’est en ce sens qu’il le définit. Mais comment
accomplir ce que Jésus dit ? Tu peux le faire si tu deviens
humble, doux et modeste. Cette vertu est la mère de toute la
philosophie chrétienne… Il déclare que cette vertu sera
grandement récompensée. Elle ne sera pas –
déclare-t-il en substance – utile seulement aux autres, en ce
sens que vous en recevrez les fruits en premier, puisque ‘‘vous
trouverez le réconfort pour vos âmes’’.
Bien avant la vie
éternelle, le Seigneur te donne déjà la
récompense et t’offre la couronne du combat : de cette
manière et par le fait qu’il se propose en exemple, il rend ses
paroles acceptables… Regarde comme il invite et conduit par tous les
moyens possibles ses disciples à l’humilité : en premier
par son exemple : ‘‘Apprenez de moi que je suis doux et humble de
cœur’’ ; ensuite par la perspective de la récompense qu’ils
obtiendront : ‘‘vous trouverez le réconfort pour vos
âmes’’ ; par la grâce que lui-même leur donnera :
‘‘je vous donnerai le soulagement’’ ; rendant ainsi doux et
léger son joug : ‘‘mon joug est doux et mon fardeau
léger’’…
Si, après avoir entendu parler du
joug et du fardeau, vous êtes encore effrayés et
apeurés, cela ne vient pas de la nature des choses, mais
exclusivement de votre paresse ; car si vous aviez l’esprit prêt
et fervent, tout vous apparaîtrait facile et léger. C’est
pourquoi le Christ, voulant nous montrer que nous devons de notre part
accomplir quelque effort, évite d’un côté de dire
des choses plaisantes et faciles et de l’autre de parler de
renoncements difficiles et sévères, mais il
tempère les uns par les autres. Il parle d’un ‘‘joug’’, mais il
le déclare ‘‘doux’’ ; il désigne un ‘‘poids’’, mais il
ajoute qu’il est ‘‘léger’’, afin qu’on ne le repousse pas parce
qu’excessivement pesant, ni qu’on le méprise parce que trop
léger. » (In Matth. 38,2ss)
Saint
Pio, lui aussi, recommande l’humilité comme ‘‘la vertu
des vertus’’ :
« Je veux insister en
priorité sur la base de la justice chrétienne et sur le
fondement de la bonté ; sur la vertu, qui nous est
proposée explicitement en modèle ; je veux parler de
l’humilité. Humilité intérieure et
extérieure, mais plus intérieure qu’extérieure,
plus vécue que montrée, plus enfouie que visible. Ma
chère fille bien aimée, qu’est-ce que l’estime de soi en
vérité ? un rien, une misère, une faiblesse, une
source de perversion sans limites ou atténuations, capable de
changer le bien en mal, d’abandonner le bien pour le mal ; ce par quoi
on s’attribue le bien, l’on se justifie dans le mal et, par amour de ce
mal, on méprise le souverain bien
Avec cela bien
ancré en toi, ma chère fille :
1. tu ne te
complairas jamais en toi-même ;
2. tu ne te
plaindras jamais des offenses, d’où qu’elles te viennent ;
3. tu excuseras
tout par charité chrétienne ;
4. toujours tu
gémiras en pauvre devant le Seigneur ;
5. tu ne te
laisseras pas troubler par tes faiblesses, mais reconnaissant qui tu
es, tu rougiras de ton inconstance et ton infidélité
envers Dieu, et tu placeras en lui ta confiance, t’abandonnant
tranquillement dans les bras du Père céleste, comme un
enfant dans els bras de sa mère ;
6. tu ne
t’approprieras aucune vertu, mais tu rapporteras tout à Dieu,
lui donnant l’honneur et la gloire.
C’est suffisant
pour cette fois-ci. »
L’humilité
est donc une vertu de grande importance au regard de l’enseignement des
Pères de l’Eglise et bien évidemment de l’Evangile. Par
trois fois, Jésus répète la phrase : « Qui s’élèvera sera
abaissé et qui s’abaissera sera élevé »
(Mt 2 »,12 ; Lc 14,11 ; Lc 18,14).
L’exemple le plus explicite est celui du publicain
qui prie au fond du temple, alors que le pharisien s’est mis
orgueilleusement sur le devant.
Saint Paul voit en Jésus l’image par
excellence de cette humilité : «
Etant de condition divine… il s’est abaissé se faisant
obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix »
(Ph 2,5-8).
Marie, la Mère de Jésus, saint que
l’humilité est le vrai chemin vers la gloire, et dans son
Cantique, le Magnificat, elle s’exclame : « Il renverse les puissants de leurs
trônes, il élève les humbles »,
après avoir déclaré que Dieu « a regardé l’humilité
de sa servante » (Lc 1,48.52).
Faisons nôtre l’invitation de l’Apôtre
Jacques qui, dans sa Lettre, nous invite à suivre le Christ
humble de cœur : « Dieu, en
effet, résiste aux superbes, mais il donne sa grâce aux
humbles. Humiliez-vous alors devant le Seigneur et il vous
élèvera ! » (Jc 4,6.10)
|