Décrire cette messe est difficile, pour
la raison très simple qu’elle n’offre rien de spectaculaire et
que vous êtes pris dans l’action liturgique. Cet homme a le don
de faire prier. Dans ces conditions, observer est quasi impossible. Il
reste qu’après coup, vous pouvez revivre la scène et en
décrire la particularité.
À voir les choses du dehors, le premier détail qui frappe
est évidemment la durée, mais une fois encore
après coup seulement. Car pendant la cérémonie,
vous ne sentez pas le temps. La messe du Padre Pio dure une heure et
quart…
De l’offertoire, nous n’avons retenu qu’une chose, le geste soutenu de
l’oblation, près de cinq minutes. Les paroles sont dites
lentement, une à une, séparées ; les yeux ne
quittent pas la croix ; le corps immobile ; une oraison muette prolonge
l’offrande. Relisez cette offrande, vous devineriez tout ce que le
Padre peut y mettre.
Toute la portion qui jusqu’à la Consécration et qui
durera vingt minutes est en effet marquée par une
détresse physique et morale, singulièrement
émouvante.
On a l’impression que le Padre essaye de retarder le plus possible le
dénouement du sacrifice, comme si, à mesure qu’approche
la consécration, une panique se développait en lui.
Tout son comportement l’indique : ses plaies peut-être s’ouvrent,
ou du moins le font souffrir, si l’on en juge par les crispations des
mains, la sueur, le déplacement incessant des pieds, sur
lesquels il n’ose s’appuyer, le masque parfois convulsé des
traits du visage. On ne peut s’empêcher d’évoquer l’Agonie…
On est en effet obligé de reconnaître que son comportement
extérieur exprime des sentiments très différents
selon les moments de la messe. Sur la toile de fond de la Passion, il
est facile de voir que le Padre Pio suit le parcours de Notre Seigneur,
du Cénacle au Calvaire…
L’anxiété atteint son paroxysme
avec la Consécration où le Padre semble vivre la mise en
Croix. Les paroles sont hachées, dans une sorte de hoquet.
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C’est la Croix plus que la Cène : ce
n’est pas le « Prenez et
mangez » qui passe au premier plan, mais « mon corps livré pour vous…
mon sang répandu pour vous et pour la multitude, en
rédemption des péchés ».
La vision est bouleversante comme une
véritable agonie. Vous avez vraiment devant les yeux un homme
qui se débat contre la mort.
En disant le pro vobis, « pour vous », de la
consécration du calice, le prêtre semble être
penché vers la foule, des deux côtés de l’autel.
Adoration profonde de l’hostie. Nous sommes au sommet du sacrifice ; il
est cinq heures quarante-cinq. À partir de ce moment, le
Père semble évoquer devant nous la
sérénité du Calvaire… Cette étape de la
présence au pied de la Croix n’est pas exempte de souffrances.
De temps à autre, le Padre Pio secoue nerveusement ses mains,
d’un geste crispé et brusque; les traits se figent tout d’un
coup pour retenir un cri de douleur.
La manière dont le Padre communie évoque
irrésistiblement la descente de croix. Il semble prendre
respectueusement le corps du Sauveur, appliquer ses lèvres sur
les plaies, sur la fontaine d’eau vive jaillissant en vie
éternelle. Il reste penché sur l’autel pendant quelques
minutes. Puis il se relève. Son visage n’exprime plus la
souffrance. Il semble hors du temps, absent du monde, perdu dans la
contemplation.
Nous ne pensons pas avoir forcé la note dans cette description.
Ceux qui ont assisté à la messe du Padre penseront
plutôt que nous sommes restés en-deçà de la
réalité. Ce que nous avons dit laisse deviner le fruit
d’une telle expérience chez ceux qui en sont les témoins.
Il ne s’agit pas de sensiblerie. C’est vraiment un témoignage.
Père Hamel
(1950)
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