La miséricorde : école
de la souffrance et de la purification

Présentation
Vision étrange que celle racontée ici par Padre Pio, mais elle est éclairée par les explications qui suivent. Il faut considérer les paroles de la troisième personne, celle qui est battue, comme la clef d’interprétation de l’ensemble : c’est l’amour qu’elle vit et proclame qui englobe tout ; la souffrance qu’elle vit est la purification de cet amour… Sans cet amour, rien ne vaut. Padre Pio ne vise donc pas ici la souffrance en général ; en ce sens, il n’invite aucunement à une quelconque résignation, il ne justifie rien a priori. La souffrance dont il parle, se rapproche de celle éprouvée quand on se repent de ses péchés ; elle est la purification de tout attachement terrestre, c’est-à-dire de tout ce qui serait susceptible de détourner du Seigneur. Elle veut l’amour, et est en fait déjà portée par lui.
On notera ici l’extension du « champ » de la miséricorde : pas seulement le péché, mais tout ce qui, dans la vie spirituelle, n’est pas (encore) l’union à Dieu. En ce monde, la miséricorde est la forme ordinaire de l’amour divin.

(Lettre au Père Benedetto, 21 juillet 1913)

TEXTE

Mon bien cher Père,
Voici ce qui m’est arrivé dimanche matin, après la célébration de la messe.
Mon esprit s’est trouvé soudain transporté par une force supérieure dans une vaste pièce éclairée par une très vive clarté. Assise sur un trône élevé serti de pierreries, je vis une femme d’une rare beauté : c’était la Vierge très sainte ; sur son cœur, elle tenait son Enfant, qui avait un air majestueux et dont le visage était splendide, plus lumineux que le soleil. Une multitude d’anges resplendissants les entouraient.
Au fond de cette grande salle, des personnes qui, de toute apparence, semblaient beaucoup souffrir, gisaient sur de petits lits. L’une d’elle paraissait devoir rendre l’âme d’un instant à l’autre.
Devant le trône de la Vierge, se tenait une autre personne, abîmée dans la contemplation. C’était le bonheur personnifié. L’enfant qui reposait sur le cœur de la Vierge en descendit et, suivi de sa Mère et des anges, il se dirigea vers la personne absorbée en prière. Il lui jeta les bras autour du cou, la serra bien fort contre sa poitrine, lui fit mille baisers et des caresses innombrables. La Vierge et les anges firent de même.
Il s’approcha ensuite des lits où se trouvaient les deux malades. Au premier, qui était assis sur son lit, l’enfant n’adressa que quelques mots de réconfort, froidement, sans trop de cérémonie. Le second était étendu et avait manifestement besoin de plus de réconfort ; mais il ne lui jeta pas le moindre regard. Et comme s’il lui répugnait de le châtier lui-même, il ordonna aux anges de le battre. Sans hésiter, ceux-ci s’approchèrent du malade ; l’un d’eux le prit par la main, et les autres commencèrent à la frapper à coups de poings ou à coups de pieds, et à la gifler.
Il me semblait cruel d’assister à cette scène. Mais, chose étrange et merveilleuse, la pauvre, loin de se plaindre, répétait avec un filet de voix : “Ô mon doux Jésus, prends pitié de moi, tant que dure le temps de la miséricorde… Ne me condamne pas quand tu devras me juger, afin que je puisse continuer à t’aimer… Ô bon Jésus, si ta justice sévère veut me juger, j’en appelle à ta sainte miséricorde.”
L’Enfant se tourna vers moi et me dit : “Apprends comment on doit aimer.” Je n’y comprenais rien. Cette vision me faisait trembler comme un roseau plié par un vent de tempête, car je m’attendais plutôt à ce que Jésus réprouve cette âme. Malheureusement, l’homme de chair juge des choses spirituelles bien autrement qu’elles ne le sont en réalité !
Pauvre de moi ! J’ai passé tant d’années à l’école de la souffrance sans avoir rien appris. Bénie soit l’infinie miséricorde de Dieu, qui a une telle bonté et tant de patience pour me supporter dans la paix !
Mais c’est pour dissiper mes craintes que le Seigneur a voulu me montrer les âmes de ces trois personnes. Qu’elles sont belles, les âmes sur qui règne le céleste Epoux ! Si une beauté comme celle-ci était dévoilée à tous, nous ne verrions sûrement pas tant de nos frères insensés courir en foule là où Dieu n’est pas.
Ces créatures angéliques étaient toutes les trois dans la grâce de Dieu. Toutes, elles étaient ornées de mérites, bien que de façon inégale. La troisième, en effet, l’était plus que la seconde et celle-ci plus que la première. Mais comme je ne comprenais pas pourquoi le Seigneur traitait ses chères épouses de manière aussi différente, il daigna venir à l’aide du pauvre homme que je suis. Il commença à me dire par une locution intérieure, claire et explicite : “La première âme était encore faible et avait besoin de caresses, sinon elle l’aurait abandonné ; la seconde l’était moins, mais, pour rester à son service, elle avait encore besoin de quelques petites caresses ; la troisième était une épouse bien-aimée, parce que, malgré tout ce qu’il lui infligeait, son service restait constant et son amour fidèle."


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