(Lettre
du 29/01/1919)
Je me sens noyé dans l’immense océan
de l’amour du Bien-Aimé. Je suis en état d’indigestion
permanente. Elle est douce aussi l’amertume de cet amour et son poids
est suave ; mais cela n’empêche pas mon âme d’en sentir
l’élan immense, elle ne sait pas comment en supporter le poids
considérable, et moi je me sens réduit à rien et
conquis. Le petit cœur sent son impossibilité à contenir
l’amour immense. Il est vrai qu’il est dedans et dehors. Mais, mon
Dieu, quand il se déverse dans le petit vase de mon existence,
je souffre le martyre de ne pouvoir le contenir ; les parois internes
de mon cœur se sentent prêtes à éclater, et je
m’étonne que cela ne soit pas encore arrivé.
Il est vrai que quand cet amour ne parvient pas à s’introduire
tout entier dans ce petit vase, il se déverse au dehors. Mais
comment faire pour soutenir l’infini au-dedans de soi ?
Mon Dieu, je me sens mourir : ne voyez-vous pas s’éteindre cette
faible existence qui se consume toute pour vous ? Y êtes-vous
indifférent ? N’ai-je pas raison de vous appeler tyran, cruel ?
Hélas que dis-je ? Pardonnez-moi, ô Dieu, mon amour ! Je
suis hors de moi et je ne sais pas ce que je dis. Vous m’avez rendu
impatient, vous m’avez conquis, vous m’avez brûlé tout
l’intérieur, vous avez introduit en moi un fleuve de feu.
Comment puis-je ne pas me plaindre, si vous-même me provoquez et
mettez ma fragilité à l’épreuve ?
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