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La
direction spirituelle
Un chrétien ne vit pas seul sa foi, mais dans l’Église
; et la messe est le point central, la source de cette vie personnelle et
communautaire. Il y a aussi une dimension très personnelle de la foi,
qui se vit selon l’expérience de chacun, ses activités,
ses rencontres, ses joies et ses peines… Et là se posent des
questions, on se trouve devant des choix à faire, qui ne sont pas toujours
très clairs. Car nous savons bien que ce que nous entendons à
la messe, ce que nous lisons dans des livres, etc., ne s’applique pas
exactement à notre situation ; on sait bien que l’Évangile
est le chemin de vie, mais devant telle situation, on ne voit pas très
bien comment le mettre en pratique : à quel texte faut-il se référer
? L’Évangile ne parle pas d’un certain nombre d’éléments
de notre vie moderne…
Il est bon alors de pouvoir trouver des conseils, un éclairage, qui
nous soient adaptés. Il est bon, et parfois indispensable, d’être
accompagné sur notre chemin. C’est cela la direction spirituelle,
l’accompagnement spirituel.
Dit autrement :
- La vie chrétienne et spirituelle consiste en la découverte
de la volonté de Dieu, à l’accueillir et à l’accomplir.
- Or, nous ne pouvons pas prendre tellement de recul par rapport à
notre existence, par rapport à nous-même : pas le temps nécessaire,
et surtout impossibilité de sortir de sa vie pour se regarder comme
de l’extérieur.
- Le directeur spirituel est celui qui prend ce recul à notre place
- ou plus exactement : nous permet de prendre ce recul - et connaît
ainsi certaines dimensions de notre vie mieux que nous. Il peut donc nous
éclairer sur la volonté de Dieu.
Si l’on peut choisir son
directeur spirituel, il est bon de respecter les critère suivants :
- personne reconnue par l’Église, qui a reçu mission de
cet accompagnement spirituel ; c’est le cas de tous les prêtres
de par leur ordination, ce peut être le cas d’autres personnes
(religieux, religieuses, laïcs) ;
- personne dont on sait (dont on sent) que les connaissances et, davantage
même, l’expérience personnelle sont sûres ;
- personne avec qui on peut établir une relation de confiance et d’affection
spirituelle.
Padre Pio
Padre Pio a été un directeur spirituel exceptionnel.
Il l’a été au cours des confessions et d’entretiens
particuliers; et le contenu de ces moments plus ou moins longs reste inconnu
en très grande partie, et pour toujours. Mais c’était
là une direction spirituelle occasionnelle et ponctuelle. Les personnes
quittant San Giovanni Rotondo ou même le confessionnal, la direction
spirituelle cessait.
Padre Pio a été un directeur spirituel également par
le biais de correspondances ; et nous conservons un bon nombre des lettres
– parfois toutes – qu’il a envoyées et reçues,
dans une correspondance suivie, pouvant durer plusieurs années. Elles
ont été éditées (en italien, peu en français).
Nous avons ainsi une documentation assez importante, qui :
- nous montre combien Padre Pio fut un directeur spirituel de premier ordre,
- permet de dégager sa « méthode » et les éléments
de la vie spirituelle sur lesquels il insistait, non pas dans un conseil occasionnel,
mais sur le long terme.
Nécessité de la direction spirituelle
Selon Padre Pio, la direction spirituelle est une nécessité
aussi bien pour la personne qui est accompagnée (même si Dieu
peut agir par lui-même) que pour le prêtre qui accompagne :
a) pour
la personne accompagnée : Contrairement à ce que l’on
pourrait penser au premier abord, plus on progresse dans la vie spirituelle,
plus la direction spirituelle est utile. En effet, c’est alors que les
tentations de Satan deviennent subtiles, prennent l’apparence du bien.
C’est alors que le chrétien vit une expérience qu’on
appelle la nuit : avant l’union à Dieu, c’est un temps
de purification et d’épreuve (d’une certaine manière,
comme le purgatoire avant la vie éternelle…) ; il faut que, dans
notre relation à Dieu, disparaisse tout ce qui n’est pas amour.
Or, nous nous rendons compte parfois que notre foi est parfois mêlée
avec les conventions sociales, avec les habitudes, avec la peur, etc. La nuit,
c’est quand ces éléments disparaissent, mais que l’amour
ne se fait pas encore sentir, ou qu’il se fait sentir comme un feu qui
brûle ces éléments et non comme une eau douce et apaisante.
Padre Pio est d’autant plus persuadé de la nécessité
d’un directeur spirituel qu’il a lui-même connu les tentations
les plus subtiles de Satan, et qu’il a vécu une expérience
de nuit totale, se demandant si Dieu ne l’avait pas rejeté, tellement
il ne sentait plus rien de sa présence, mais seulement les attaques
spirituelles (et parfois physiques) du diable. Il a eu alors recours à
deux Pères spirituels : le Père Agostino et peut-être
surtout le Père Benedetto, qui était en même temps son
supérieur provincial. L’obéissance au directeur spirituel
était comme le dernier rempart contre le mal, et la preuve qu’au
fond il cherchait et désirait accomplir la volonté de Dieu.
b) pour
le directeur spirituel : Pour Padre Pio, l’accompagnement spirituel
est une exigence qui doit animer tout prêtre ; c’est un service
qu’on ne peut pas refuser à une âme. On en voit un signe
très clair dans les lettres qu’il écrit aux personnes
qu’il dirige : il signe très fréquemment « votre
serviteur » ou même « votre très humble serviteur
». Et il ne s’agit pas là seulement d’une formule
de politesse, mais de la conscience très vive de sa mission de prêtre.
Plus encore, la direction spirituelle est un rejaillissement, un fruit de
sa charité, de l’amour surnaturel qui lui brûle le cœur.
Il l’écrit à Raffaelina Cerase — et, chacun à
son niveau, nous pouvons en prendre la leçon : « C’est
la charité de Jésus Christ qui me pousse ; c’est le désir
très vif de votre sanctification. Un tel désir vient de la flamme
qui me brûle intérieurement (…) En tant qu’ami et
ministre de l’Époux divin, et selon son ordre, j’ai le
devoir de veiller sur vous ; je suis empli de son amour jaloux, qui veut que
vous restiez pure et lui soyez un jour présentée » (25
octobre 1914).
Padre Pio, un directeur spirituel de premier ordre
Pour rendre compte de la qualité exceptionnelle de la
direction spirituelle de Padre Pio, on peut avancer les éléments
suivants :
a) La
conscience et la volonté très vives de n’être qu’un
instrument de Dieu, qui est le seul vrai guide : «Je suis un
instrument dans la main de Dieu, et je ne suis utile qu’en étant
manipulé par l’artisan divin ».
b) Sa
participation à la vie spirituelle de ses dirigé(e)s
: Padre Pio résume cette dimension en disant qu’il est «
le pauvre cyrénien qui porte la croix pour tous ». il participe
aux angoisses et aux joies, aux peines et aux satisfactions de celles et ceux
qu’il guide. Cela se fondait sur un rapport d’affection surnaturelle
qu’il établissait avec eux : amour à la fois paternel
et humble (il dirige l’âme, et il est serviteur de l’âme
et du Christ).
Dans le même temps, il était toujours franc et direct, et la
politesse qui le caractérisait la plupart du temps semblait alors mise
de côté. C’est cela qui a donné à Padre Pio
cette réputation d’être rude, brusque, dur, notamment au
confessionnal. En fait, c’était une forme extrême de son
immense charité et compassion pour les âmes, parfois le seul
moyen de les réveiller de leur sommeil ou de les tirer de leur hypocrisie.
Mais Padre Pio ne faisait jamais cela gratuitement, et il interdisait à
ses confrères de l’imiter sur ce point.
On retrouve aussi ce caractère franc et sincère dans ses lettres,
notamment quand il est obligé de répéter plusieurs fois
le même avis, ou quand une âme avancée dans le chemin de
Dieu reste encore fixée sur un élément matériel
très secondaire. Ainsi, il écrivit à Raffaelina Cerase,
pour lui dire son désaccord : elle était selon trop préoccupé
par la recherche d’un logement plus convenable, les laissant troubler
par cela dans sa vie spirituelle : « Je vous dis franchement que votre
préoccupation pour cette maison est un peu excessive et je vois tout
cela d’un mauvais œil. Je vous demande de modérer cette
préoccupation si vous ne voulez pas subir la réprobation de
Jésus » (8 avril 1914). Derrière cela, il y a la conviction
qu’on ne peut pas vivre véritablement dans la paix de Dieu si
on est troublé d’autres activités : l’être
humain est un.
c) Une
intuition psychologique et spirituelle très vive, consistant
en une démarche adaptée aux situations personnelles et orientée
vers les dimensions positives de l’expérience spirituelle.
Padre Pio ne donnait jamais tels quels des principes spirituels trop généraux
: « Il faut aimer, pardonner… », mais il les présentait
en adéquation avec les situations précises, le caractère
de la personne. Il y avait là, donc, une intuition et un bon sens psychologique
très développés ; mais il faut aussi mentionner les charismes
propres qu’il avait reçus : par la grâce divine, son ange
gardien, il avait une connaissance surnaturelle de certains éléments
cachés ou que les paroles et les lettres ne parvenaient pas à
décrire.
L’autre dimension de cette intuition de Padre Pio est qu’il présentait
la vie spirituelle plutôt du côté positif que négatif.
Ainsi, pour encourager les âmes, notamment quand elles étaient
dans la nuit des sens ou de la foi, il n’hésitait pas à
leur rappeler qu’elles étaient destinées à l’union
divine, que l’Époux divin les avaient choisies. « Jésus
veut faire de nous des saints à tout prix, mais plus que tout, il veut
vous sanctifier, vous. Il vous en donne continuellement la preuve. Il semble
même qu’il n’ait pas d’autre préoccupation
que celle de vous sanctifier » (à Raffaelina, Ascension 1914).
Pour Padre Pio, quand on recherche véritablement la volonté
de Dieu et qu’on est dans l’obéissance à l’Église,
qu directeur spirituel, il est préférable d’ignorer le
mal, de le traiter par le mépris, et de se tourner résolument
vers le bien, vers la promesse que le Seigneur nous a fait, même si
on ne sent pas tellement son amour. Son amour est présent par le désir
de sa volonté et par l’obéissance.
d) Un
fondement théologique très sûr. Padre Pio ne
choisit pas les personnes qu’il dirige, il reçoit cela comme
une mission. De la même manière, il ne les guide pas selon ses
préférences, mais selon la foi de l’Église et la
grande tradition spirituelle.
Cela se caractérisait par les deux éléments principaux
suivants :
- une insistance sur les vertus théologales de foi, d’espérance
et de charité. La foi : la vie chrétienne a Dieu pour centre
et terme, que les vérités de la foi nous révèlent.
L’espérance : le Seigneur ne revient jamais sur sa promesse,
et il donne les moyens de son accomplissement. La charité : C’est
en l’amour de Dieu et du prochain que consiste la sainteté ;
et l’amour est le premier pas dans le chemin de sainteté.
- une bonne connaissance de la théologie, de la Bible (notamment saint
Paul) et des grands auteurs spirituels. C’est ce qu’il possède,
et il invite ses dirigés, autant que cela leur est possible à
lire les bons auteurs ; ainsi, il se fâche à plusieurs reprises
contre Raffaelina, qui persiste à ne lire que des romans d’édification.
Il ira jusqu’à lui envoyer le « Traité de l’amour
de Dieu» de saint François de Sales, après lui avoir conseillé
de lire l’autobiographie de sainte Thérèse d’Avila,
les Confessions de saint Augustin et une introduction à la foi de l’Église
écrite par un dominicain français, le Père Monsabré.
En étudiant ses lettres, on se rend compte combien, par exemple, il
connaissait bien saint Jean de la Croix, sans doute parce que leurs expériences
de la nuit spirituelle sont aussi radicales l’une que l’autre.
e) Ce
dernier point ouvre à la dernière des raisons que l’on
peut invoquer pour comprendre pourquoi Padre Pio fut un directeur spirituel
de premier ordre : il a lui-même parcouru l’ensemble du
chemin spirituel jusqu’à l’union parfaite avec Dieu.
Il n’est pas nécessaire qu’un accompagnateur spirituel
ait lui-même fait une expérience mystique totale ; par la sûreté
de sa doctrine théologique et spirituelle, par son intuition et son
bon sens psychologique, il peut aider quelqu’un à discerner l’action
de l’Esprit Saint et à déjouer les pièges de Satan.
Cependant, une expérience propre augmente, non pas les connaissances,
mais ce qui est de l’ordre de leur application aux situations personnelles.
De plus, ainsi qu’on a pu le voir entre Padre Pio et ses dirigés,
la confiance de ceux-ci vis à vis de lui en a été plus
grande : puisqu’il a parcouru le chemin, je peux m’abandonner
entre ses mains, ses conseils ne sauraient me tromper. Or, la confiance est
bien un élément important de la direction spirituelle.
Et cela indépendamment de son jeune âge : en 1915, Padre Pio
a 31 ans ; et dans une lettre à Raffaelina Cerase, il indique qu’il
a déjà dépassé l’étape de la purification
des sens et de l’esprit, il est dans l’union parfaite avec Dieu
(23 janvier 1915).
5- Composantes d’une vie spirituelle
On retrouve dans les écrits de Padre Pio certaines constantes
de la vie spirituelle d’un chrétien. Les voici :
- la prière, avec la méditation de la vie du Christ, de sa passion,
du dessein d’amour de Dieu sur le monde et sur notre vie…
- la lecture de la Parole de Dieu et de livres spirituels
- l’exercice de la présence continuelle de Dieu, en se recueillant
régulièrement, en priant avant et après chaque activité,
par l’examen de conscience
- s’approcher régulièrement des sacrements de l’Eucharistie
et de la pénitence
CONCLUSION
La correspondance spirituelle de Padre Pio est devenue aujourd’hui
un de ces livres spirituels qu’un accompagnateur spirituel peut conseiller
à une personne qu’il accompagne. Cela vient tout à la
fois de la justesse et de la sûreté de la doctrine spirituelle
de Padre Pio, et de la reconnaissance que l’Église a donnée
en le canonisant.
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