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Padre
Pio et Mère Teresa : deux Bons samaritains aujourd'hui
Réflexion
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INTRODUCTION
Cette
réflexion s’inscrit dans l’actualité récente de la
béatification de Mère Teresa de Calcutta. Pour la
présenter, je me suis inspiré du livre de Francesco di
Raimondo « Padre Pio e Madre Teresa, l’esperienza di un
collaboratore medico » — l’expérience d’un
médecin collaborateur.
Le docteur di Raimondo, médecin et professeur de
l’université Catholique du Sacré-Cœur et de
l’Université pontificale de la Grégorienne a
été un fils spirituel du Padre Pio et un proche de Madre
Teresa. En vivant dans l’orbite de ces deux grandes figures de
sainteté, il a été marqué par leur approche
évangélique des malades. Il est convaincu que leur
témoignage est un apport très précieux pour le
monde de la santé.
Au
début de cet exposé, il est bon de rappeler qu’il y a
autant de manières d’être saints qu’il y a de saints. La
sainteté s’exprime de manière unique en chacun des saints
et des saintes. Padre Pio n’est pas Mère Teresa et Mère
Teresa n’est pas Padre Pio. C’est pourquoi avant de signaler ce qui les
rapproche, il faut aussi évoquer ce qui les distingue.
DEUX FIGURES
DIFFRÉRENTES, DEUX EXPÉRIECNES DIFFÉRENTES
Padre Pio est né
en 1887, Mère Teresa en 1910. 27 ans séparent l’un de
l’autre. Cette distance de presque une génération est
secondaire par rapport au milieu social de chacun et aux trajectoires
de leurs existences. Padre Pio était un homme du sud de
l’Italie. Il garda toute sa vie la mentalité et les coutumes du
monde paysan dont il était issu. Il parlait en dialecte, il
vivait au rythme des saisons et des récoltes et comme ses
concitoyens, il réservait un accueil distant pour ce que l’on
peut qualifier de « moderne ». Padre Pio n’a jamais — sauf
en bilocation— quitté son pays.
D’origine Albanaise,
Mère Teresa, était issue d’une famille de notable.
À 18 ans, elle partit en Irlande chez les sœurs de Lorette,
adoptant l’anglais comme langue. Presque un an après, elle fut
envoyée en Inde où elle affronta un univers bien
différent de l’Albanie et de l’Irlande.
Alors que la vie du Padre
Pio se déploya dans l’espace restreint d’un couvent, entre la
cellule, l’autel et le confessionnal, Mère Teresa fit plusieurs
fois le tour du monde, avec des programmes de voyages
exténuants. Elle avait une réelle facilité pour
communiquer avec des personnes de cultures différentes, à
choisir des collaborateurs de divers pays, à nouer des
relations… Padre Pio privilégiait les rapports personnels avec
ses pénitents, ses fils et filles spirituels, ses
confrères. Il fuyait les foules et prenait très peu la
parole en public. À l’opposé, Mère Teresa se
soumettait aux attentes de ceux qui voulaient la rencontrer.
Différents par
leur vie, ils étaient aussi différents par le choix de
leur consécration religieuse. Mère Teresa, certaine de
l’appel que le Seigneur lui adressa à travers les pauvres,
initia une nouvelle forme de vie religieuse. «J’ai confiance
à ton appel, je crois à tes inspirations, je suis
certaine que tu ne m’abandonneras jamais». Missionnaire de
la Charité, elle vécut « pauvre parmi les pauvres
». Prêtre, religieux, Padre Pio a toujours cru à sa
vocation capucine et se soumit inconditionnellement à la
Règle de Saint François, aux Constitutions des Capucins
et aux supérieurs qui en sont les gardiens. Il a offert sa vie
pour la rémission des pécheurs et le soulagement de ceux
qui souffrent.
Si l’un comme l’autre ont
eu une attitude de compassion extrême pour les malades, ils
eurent recours — là aussi — à des moyens
différents pour soigner et soulager la souffrance. Padre Pio
oeuvra pour la réalisation d’un hôpital en phase avec la
science et la technique médicale. Mère Teresa organisa
ses communautés pour secourir ceux qui n’avaient aucun moyen de
bénéficier de soins médicaux en hôpital.
Dans le contexte propre de l’Inde, elle disait « notre
clinique c’est la rue ».
CONTEMPLATION
DU CHRIST SOUFFRANT, PRÉSENCE AUPRÈS DES SOUFFRANTS
Malgré ces
différences, le Dr. Di Raimondo signale que l’un comme l’autre
ont été acteurs d’une véritable
«révolution culturelle» dans le monde de la
médecine. Leur initiative s’enracine dans l’Evangile,
particulièrement dans leur contemplation du Christ Souffrant et
Médecin des âmes et des corps.
Toute souffrance humaine qu’elle soit physique, psychique ou morale,
est mystérieusement unie à celle du Christ en sa Passion.
Le regard qu’ils portaient sur le malade était
spontanément un regard de contemplation, de
présence au Christ qui s’est identifié à ses
frères souffrants. Face à celui qui souffre, ils
engageaient toutes leurs ressources humaines et spirituelles pour être
vraiment présent à son épreuve comme en
un acte de contemplation.
L'enseignement qu’ils
nous transmettent, que l’on soit professionnel ou volontaire, c’est «
d’être totalement du côté de ceux qui souffrent
». Cela suppose que l’on considère le malade dans la
totalité de son existence humaine, non seulement en lui
procurant les soins médicaux nécessaires mais en
répondant à ses attentent d’amitié, de vie sociale
et spirituelle ; en l’accompagnant dans sa solitude, ses angoisses et
ses interrogations : « Pourquoi cela arrive à moi ? Quand
est-ce que je sortirai de ce tunnel ? ».
Au contact de tant de
misères, Mère Teresa était convaincue que la
solitude et le manque d’amour étaient les pires des souffrances.
« Je persiste à croire, disait-elle,
que la plus grande souffrance, c'est d'être seul, de se sentir
mal-aimé, de n'avoir simplement personne. J'en suis venue
à me rendre de plus en plus compte que la pire souffrance que
puisse vivre un être humain, c'est de n'être pas
désiré ».
Combien de malades qui bénéficient parfois des soins les
plus en pointes éprouvent la solitude et l’impression de ne pas
être aimé.
Parlant de la «
Casa Sollievo della Sofferenza », Padre Pio exprimait la
même chose avec d’autres mots: « Si l’hôpital
n’était consacré qu’au soulagement des corps, cette œuvre
ne serait qu’un clinique modèle… Mais elle est aussi
stimulée et talonnée pour être un rappel efficace
de l’amour de Dieu par le rappel de la charité… Dans cette
œuvre, l’amour de Dieu devra se fortifier dans l’esprit du malade
grâce à l’amour de Jésus qui émanera de ceux
qui assistent la maladie de son corps et de son esprit. Ici, patients,
médecins, prêtres seront des réserves d’amour :
plus abondant il sera chez les uns, plus il sera communiqué aux
autres. Les prêtres et les médecins, engagés dans
leur service de charité envers les corps malades, sentiront le
besoin ardent de rester eux aussi dans l’amour de Dieu, afin qu’eux
tous et leurs malades trouvent en lui une unique demeure qui est amour
et lumière ».
UNE
MÈDECINE GLOBALE, UNE THÉRAPIE EN DIALOGUE
Fort du
témoignage de ces deux saints, le Dr. di Raimondo enseigne, dans
les universités et dans les congrès de médecine,
l’importance de ce qu’il appelle « une médecine globale
», une médecine qui prend en compte la totalité de
la personne humaine. Le malade n’est pas simplement un corps à
soigner. Son attente va au de-là d’un besoin de thérapie,
elle est désir de guérison, de repères face
à la souffrance, de soutien et d’espérance même
quand l’issue paraît compromise.
Le malade cherche non seulement « un technicien de la
santé » mais aussi « un cœur compatissant »
capable de partager son épreuve. Ces exigences que Padre Pio et
Mère Teresa ont su mettre en valeur suppose le dialogue entre
patient et médecin. Le Dr. di Raimondo parle de «
thérapie en dialogue ».
Il suffit de fréquenter un peu les hôpitaux pour constater
que souvent ce dialogue est absent. Coupé de son milieu, de ses
activités, le malade doit parfois affronter le mutisme du corps
médical qui ne considère en lui qu’un individu lambda
à soigner. Il est tenu à l’écart non seulement du
mal qui l’atteint mais aussi du protocole thérapeutique qui lui
est imposé. Le mal-être ou le bien-être d’un malade
se diagnostique autant sur les feuilles d’analyses que dans les paroles
qu’il veut nous partager.
LE BON
SAMARITAIN : S'ARRÊTER, ÊTRE DISPONIBLE
Médecin,
le docteur Di Raimondo a été surtout attentif à
mettre en valeur l’attitude prophétique du Padre Pio et de
Mère Teresa en faveur des malades. Son regard est celui d’un
professionnel de la santé qui, dans la vie de ces deux saints, a
su trouver des enseignements essentiels pour sa pratique
médicale.
Il est vrai cependant que la sollicitude du Padre Pio et de Mère
Teresa pour les malades jaillit de leur charité sans borne pour
tout homme dans le besoin. Ils n’ont pas été des «
spécialistes du monde de la santé », mais de
« bons samaritains » de l’homme éprouvé. Dans
sa lettre apostolique sur la souffrance, le pape
Jean-Paul II, nous donne une indication précieuse : «
Le bon Samaritain, c’est toute personne qui s’arrête
auprès de la souffrance d’un autre homme quel qu’il soit. »
Etre capable de
s’arrêter. Cela suppose de la disponibilité. Prendre de la
distance par rapport à ses priorités et ses
préoccupations pour se laisser émouvoir du malheur
d’autrui. Le Bon Samaritain dans l’Evangile, en voyant l’homme
blessé sur le bord du chemin, « fut saisi de pitié
». Cette attitude du cœur, c’est la compassion.
C’est-à-dire la capacité d’être solidaire de celui
qui souffre ; capacité d’aimer et soulager autant que possible
la souffrance de l’autre.
Écoutons Mère Teresa : « Mon Dieu, de par mon
libre choix et avec le seul soutien de ton amour, je veux rester
là pour accomplir ta volonté… Ma communauté, c’est
celle des pauvres. Leur sécurité c’est la mienne. Leur
salut c’est mon salut. Mon toit, c’est celui des
déshérités, mais encore plus
précisément, celui des plus pauvres d’entre eux. De ceux
dont on s’écarte par crainte de la contagion, de la
saleté, ou parce qu’ils sont couverts de parasites et de plaies…
de ceux qui n’ont même plus la force de manger. De ceux qui
s’affaissent dans la rue en sachant qu’ils vont mourir, alors que les
biens portants passent à côté d’eux sans les
regarder ».
Combien cette sensibilité du cœur dont fait preuve Mère
Teresa rappelle celle du Bon Samaritain. La misère d’autrui la
bouleverse tellement que sa solidarité va jusqu’au partage total
de leur vie.
De la même
façon, la compassion de Padre Pio pour ses frères
éprouvés est si forte qu’il se déclare prêt
à prendre sur lui leurs souffrances : « Si je sais
qu’une personne est affligée dans l’âme ou dans le corps,
que ne ferais-je pas auprès du Seigneur pour la voir
libérée de ses maux ? Je me chargerais volontiers de
toutes ses afflictions pour qu’elle soit sauvée, en
cédant en sa faveur les fruits de mes souffrances, si le
Seigneur me le permettait ».
LE BON
SAMARITAIN : LE DON DE SOI, AGIR
Les
paroles de Mère Teresa et de Padre Pio montrent que le Bon
Samaritain est une personne non seulement sensible à la
souffrance du prochain, mais capable du don de soi. La souffrance de
l’autre est souvent un appel à aimer— à aimer parfois,
comme pour Padre Pio et Mère Teresa, jusqu’au don de sa vie. «
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on
aime ».
La parabole de
l’Evangile nous apprend que le Bon Samaritain n’a pas été
seulement saisi de pitié, mais qu’il «banda les plaies
» de l’homme à moitié mort, le « mena
à l’hôtellerie en prenant soin de lui » ; puis le
recommanda soigneusement à l’hôtelier et s’engagea
à solder les dépenses nécessaires.
Commentant ce passage d’Evangile, le Pape écrit : «
L’Evangile est la négation de la passivité en face de la
souffrance. Le Christ lui-même en ce domaine est essentiellement
actif… ».
Padre Pio, Mère Teresa ont dépensé les
ressources de leur amour pour mobiliser leurs frères et sœurs
dans des projets concrets et efficaces, destinés à
soulager la souffrance. Par des dons de discernement exceptionnels, ils
ont su trouver des collaborateurs qualifiés et réaliser
des projets audacieux qui nous étonnent encore.
En 1956, à l’occasion du dixième anniversaire de la
« Casa Sollievo », Padre Pio rendait grâce pour
l’enthousiasme que suscita l’appel à soulager l’humanité
souffrante : « Je vous remercie pour vos dons de
générosité, pour les sacrifices que vous avez
faits, pour l’intérêt et les soins que vous y avez
apportés, parce que vous avez été les instruments
dans les mains de Dieu pour la réalisation de cette maison
où les âmes et les corps de nos frères malades sont
soignés et guéris… Derrière la « Casa
Sollievo », les groupes de prières sont les positions
avancées de cette citadelle de la charité… ».
Dans
le même esprit, en recevant le prix Nobel de la Paix, en 1979,
Mère Teresa lançait au monde un appel vibrant à
l’amour : « L’amour est un don que nous devons êtres
capables de partager avec autrui… Le Christ est dans nos cœurs, le
Christ est dans le pauvre que nous rencontrons, dans les sourires que
nous nous offrons et dans ceux que nous recevons. Si nous nous
rappelons, à chaque instant, que Dieu nous aime et que nous
avons l’opportunité d’aimer notre prochain comme il nous aime,
non pas à travers de grandes choses mais par des petits actes
faits avec beaucoup d’amour, alors le monde deviendra un nid d’amour
».
Des «
Citadelles de la charité » pour l’un, des «
nids d’amour » pour l’autre, Padre Pio comme
Mère Teresa ont voulu communiquer au monde la
nécessité impérieuse de l’amour du prochain. Cet
amour est particulièrement éloquent lorsqu’il s’agit de
compatir aux souffrances de l’homme qui souffre. La souffrance
mystérieusement ouvre nos cœurs à l’intelligence de la
Rédemption du Christ, et en retour « par le Christ et
dans le Christ s’éclaire l’énigme de la douleur et de la
mort » (Gaudium et Spes 22).
LE
TÉMOIGNAGE DE JEAN-PAUL II SUR PADRE PIO ET MERE TERESA
En
terminant cet exposé permettez-moi de rappeler les
témoignages vibrants que le pape Jean Paul II à voulu
donner aux deux « bons Samaritains » de notre temps.
Le
2 mai 1999, à l’occasion de la béatification de Padre
Pio, le pape disait ceci : « En même temps, sa
charité se répandait comme un baume sur les faiblesses et
les souffrances de ses frères. Padre Pio unissait ainsi au
zèle pour les âmes, l'attention aux souffrances humaines,
se faisant, à San Giovanni Rotondo, le promoteur d'une structure
hospitalière, appelée par lui «Casa Sollievo della
Sofferenza» (Maison du Soulagement de la Souffrance). Il a voulu
en faire un hôpital de première catégorie, mais
surtout il se préoccupa qu'on y pratique une médecine
vraiment humanisée, où les relations avec les malades
soient empreintes de la sollicitude la plus chaleureuse et de l'accueil
le plus cordial. Il savait bien que ceux qui sont malades et qui
souffrent ont besoin non seulement d'une utilisation correcte des
moyens thérapeutiques, mais aussi et surtout d'un climat humain
et spirituel qui leur permette de se retrouver eux-mêmes dans la
rencontre avec l'amour de Dieu et la tendresse de leurs frères.
Avec la «Casa Sollievo della Sofferenza», il a voulu
montrer que les «miracles ordinaires» de Dieu
passent par notre charité. Nous devons nous rendre
disponibles pour le partage et le service généreux de nos
frères, en nous servant de toutes les ressources de la science
médicale et de la technique. »
En octobre 2003, parlant
de la Bienheureuse Teresa de Calcutta, Jean Paul II s’exprimait ainsi :
« Je suis personnellement reconnaissant à
cette femme courageuse, dont j'ai toujours ressenti la présence
à mes côtés. Icône du Bon Samaritain, elle se
rendait partout pour servir le Christ chez les plus pauvres parmi les
pauvres. Même les conflits et les guerres ne réussissaient
pas à l'arrêter…"Dans la mesure où vous l'avez fait
à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à
moi que vous l'avez fait" (Mt 25, 40). Ce passage de l'Évangile,
si crucial pour comprendre le service de Mère Teresa aux
pauvres, était à la base de sa conviction emplie de foi
selon laquelle en touchant les corps brisés des pauvres,
c'était le corps du Christ qu'elle touchait. C'est à
Jésus lui-même, caché dans les souffrances des plus
pauvres d'entre les pauvres, que son service était
adressé. Mère Teresa souligne la signification la plus
profonde du service: un acte d'amour fait à ceux qui ont faim,
soif, qui sont étrangers, nus, malades et prisonniers (cf. Mt
25, 35-36) est fait à Jésus lui-même…Elle voulait
être un signe de "l'amour de Dieu, la présence de Dieu, la
compassion de Dieu" et rappeler ainsi à tous la valeur et la
dignité de chaque enfant de Dieu, "créé pour aimer
et être aimé". Ainsi, Mère Teresa "conduisait les
âmes à Dieu et Dieu aux âmes" et étanchait la
soif du Christ, en particulier chez les plus indigents, ceux dont la
vision de Dieu avait été voilée par la souffrance
et la douleur.»
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